Temps de lecture: 4 minutes

Il y a 100 ans, le design. Embarquez pour un voyage dans le passé, pour découvrir quelques pièces qui vivront leur Centenaire en 2023…

En 1923, la Grande Guerre (14-18) est passée depuis cinq ans. La période de l’entre-deux guerre voit donc la reprise progressive de l’activité économique et artistique ‘normale’ en Europe occidentale. La guerre n’a, sur le plan du design, pas été un brusque arrêt, sans continuité avec la suite de la période: c’est dans la continuité de l’Art Nouveau, que les courants des années 1920 s’inscrivent, tout en préparant le monde à la modernité de l’Art Déco.

Où en est le monde en 1923?

En Italie, Mussolini est au pouvoir depuis le 31 octobre de l’année précédente, tandis que Mao Tsé Toung célèbre sa deuxième année au pouvoir en Chine. L’URSS vient tout juste de naître sous l’impulsion de Lénine. En Allemagne, saignée à blanc par les accords de Paix, la Ruhr est  occupée par les Français avec l’appui des Belges, pour imposer le paiement des remboursements de guerre. Dans l’ancien Empire Ottoman, les cartes sont en train d’être redistribuées: en octobre 1923, sera proclamée la République de Turquie, où Ataturk procèdera à une large sécularisation de la société.

Dans ce contexte de réorganisation du monde, les pays d’Europe de l’Ouest sont accablés par les conséquences économiques de la guerre, alors que leur vie peut, pour la plupart, reprendre son cours: entre anciens combattants et familles meurtries et désir profond de profiter de celles qui sont appelées les « Années folles » – l’euphorie avant la crise économique de 1929 qui remettra tout en question.

Le développement d’une esthétique moderne

Dans l’entre-deux-guerre, se développe une nouvelle esthétique moderne. Si certains créateurs tentent de rompre totalement avec les approches antérieures, d’autres sont plus proches du passé, plus conservatrices.

On sous-estime souvent à quel point le design moderne doit à l’entre-deux guerre, et à quel point des créations modernes y ont vu le jour. Si je vous dis que le fameux Fauteuil ‘Rouge Bleu’ de Gerrit Rietveld, designer et architecte néerlandais, date de 1923, cela vous étonne-t-il? Bien qu’il soit un peu trop tôt (je dois attendre 2024) pour vous parler de la Maison Schröder, qu’il a créée à Utrecht, il me semble important de parler de la modernité parfois sous-évaluée, des années 1920.

Parmi les styles les plus influents de l’époque, on retrouve notamment De Stijl, dont Rietveld est un représentant, mouvement qui veut revenir aux formes simples et pures. C’est un retour à une simplicité des couleurs aussi, à l’image de l’exemple des créations de Theo Van Doesburg ou de Piet Mondrian… dont cette composition, qui date de 1923.

Design: Mondrian. Composition A, 1923.

Pour découvrir quelques styles et esthétiques des années 1920, je vous propose plutôt qu’un long discours, des exemples !

Quelques créations de 1923

Le moderniste ‘conservateur’

Du côté du modernisme ‘conservateur’, les designers s’inscrivent dans la continuité des périodes précédentes, et préfigure l’Art Déco, comme ces meubles de Dunand ou Ruhlman.

Le modernisme ‘de progrès’

Le modernisme ‘de progrès’ quant à lui, fait usage de la simplification et l’abstraction. Il préfigure le triomphe de la machine, et la marche vers une art de vivre de masse, un design qui deviendra accessible par la suite.

En France

Pour Pierre Chareau, 1923 est l’année de la créations de plusieurs luminaires dont les lignes sont aussi modernes qu’intemporelles, préfigurant la lampe religieuse, qui est éditée dès 1924.

En Allemagne

En Allemagne, le Bauhaus est LE style moderne par excellence, qui va impacter la suite de l’histoire du design. L’idée centrale de ce mouvement, qui mérite certainement plus qu’un paragraphe dans cet article (mais ce serait fort long!), est que la forme ne doit pas compromettre la fonction de l’objet: celle-ci est une conséquence des variétés d’utilisations possible. L’expérience d’utilisation est au coeur du design. Parmi les grands noms du Bauhaus, on retrouve Walter Gropius, Johannes Itten et Marianne Brandt, dont les objets de la vie de tous les jour vont marquer les années 1920 et 1930, telles que sa théière (que je garde pour 2024). En 1923, Brandt créé cette lampe suspendue qui aurait sa place dans un intérieur actuel; celle de Wilhelm Wagenfeld et Carl Jakob Jucker, de la même année, y répond de façon intéressante.

Aux Pays-Bas

Comme noté ci-dessus en introduction, le mouvement De Stijl est clé dans la période. La chaise rouge et bleu est en effet une des créations de Gerrit Rietveld de l’année 1923. En outre, on retrouve parmi son mobilier de cette année, la table d’appoint ci-dessous, qui fait toujours appel à ces mêmes codes de simplification et d’abstraction.

Rietveld. Table d’appoint, 1923.

Conclusion

On retrouve donc en 1923 de nombreux éléments décoratifs empreints d’une grande modernité, qui côtoient encore des créations plus fortement liées aux styles précédents. L’entre-deux guerre est une période de grands changements sociétaux, qui voit en effet le design suivre la même voie: vers la modernité, la libération de certaines normes traditionnelles, la simplification du design en parallèle d’un désir de massification de la production, pour amener l’esthétique vers le plus grand nombre. Cependant, le design est loin d’être abordable et reste encore réservé à une élite. Il faudra attendre encore plusieurs décennies pour que cette modernité soit réellement intégrée dans les intérieurs du commun des mortels.

Parmi les évolutions qui me semblent particulièrement intéressante, il y a, déjà avec le Bauhaus, cette idée que la forme suit la fonction. L’objet est pensé non plus seulement dans sa visée esthétique, mais aussi avec une dimension fonctionnelle. Plus seulement un outil de distinction sociale, le mobilier peut ainsi participer au mode de vie dans le foyer. La logique a été reprise par les architectes et décorateurs d’intérieur: votre décoration doit répondre à vos besoins, et pas seulement être esthétique.


Bibliographie

Evelyne Possémé, Mobilier 1910-1930, Charles Massin, 2010, 191 pages

Cours « Mouvements et styles », par Florence Marchal, EFP, 2016-2017.