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Décembre 2018. Comme tous les mois de décembre depuis 20 ans, Pantone a révélé il y a plusieurs semaines la couleur de l’année 2019… je ne vous apprends pas grand chose jusque là. Depuis l’annonce le du sacre de Living Coral, à peu près toutes les blogueuses décoration que je suis en ont parlé.
Living Coral, c’est « une nuance corail vivifiante, avec des nuances dorées qui lui insufflent vie et énergie, tout en l’adoucissant légèrement », selon Pantone.
Sur la page dédiée à la couleur, elle est décrite comme réconfortante, sociable et enjouée, évoquant la nature, « le kaléidoscope de couleurs qu’abritent les récifs coralliens ». Elle inviterait à la déconnexion de la technologie, pour se tourner vers des expériences plus authentiques. Les adjectifs utilisés pour décrire Living Coralsont élogieux, et on peut dire qu’en général la blogosphère approuve globalement ce choix, esthétiquement plaisant. Le corail étant en effet présent depuis déjà plusieurs années dans les étalages, il y a des chances en effet qu’il se retrouve encore dans les intérieurs de 2019.
Ceci étant dit, l’article de Julie de Cocon de Décoration m’a menée à réfléchir à la signification de cette « Couleur de l’année ». Elle y dit en effet ne plus suivre ce « coup de marketing » de Pantone depuis plusieurs années – et n’a décidé d’écrire dessus qu’en raison de la fraîcheur de la couleur, lui parlant plus que les précédentes…
Alors voilà, un petit topo de mes recherches et réflexions sur le sujet…
La Couleur de l’Année et le Pantone Color Institute
Sur le site de Pantone, la Couleur de l’année est présentée comme une réelle influence sur le monde du design industriel et d’intérieur ainsi que de la mode. Elle influencerait l’évolution de la production, et les décisions d’achats dans ces secteurs. Mais comment la couleur de l’année est-elle déterminée?
Les experts du Pantone Color Institute conduisent toute l’année des analyses de tendances, des prévisions et rapports notamment en matière de psychologie des couleurs. Et tous les ans, ils « sillonnent le monde à la recherche de nouvelles influences chromatiques ». C’est donc en observant le monde, tant celui de l’esthétique que la société, que ce choix est fait. Les progrès technologiques, destinations touristiques en vogue, et évènements sportifs sont cités comme exemples d’influences possibles. La Couleur de l’année serait donc l’essence de l’évolution du monde. On s’entend: du monde occidental.
Toujours est-il, qu’à ce stade de l’analyse, l’éloignement de la couleur de l’année des tendances déco ou de la mode pourrait s’expliquer par le fait que ce ne sont pas seulement ces mondes qui déterminent le choix de cette couleur. Et du coup, ne pas avoir de Living Coral chez soi en 2019 ne signifiera (peut-être) pas qu’on est complètement à côté de la plaque.
Tout ceci m’amène à me demande: quid des autres couleurs de l’année? Quelles évolutions de la société exprimaient-elle?
Rétrospective 2014-2018
Si Living Coral se veut témoin d’une nécessité de se reconnecter avec la nature, et décrocher de nos écrans, de notre « soif d’expériences authentiques » (dixit Pantone), quid des années précédentes?
- 2018 Ultra Violet: couleur énigmatique, sensée représenter la contre-culture, le génie artistique et le non-conformisme, Ultra Violet témoignait d’une recherche d’originalité, d’un esprit visionnaire et ingénieux;
- 2017 Greenery: rafraîchissante, revitalisante, revigorante… Greenery symbolisait les nouveaux départs. Le retour à la nature, et la nécessité de la planification urbanistique et la redéfinition des styles de vies étaient mis en avant;
- 2016 Rose Quartz et Serenity: pour la première fois, deux couleurs étaient choisies ensemble, évoquant à la fois la plénitude, le bien-être (rose) et la recherche de sécurité et de sérénité (bleu)
- 2015 Marsala: sophistiquée et naturelle, Marsala évoquait également un sentiment de satiété, enrichissant pour le corps et l’esprit
- 2014 Radiant Orchid: la confiance, la joie, l’amour, la santé et la curiosité, étaient mises en avant avec le violet clair de Radiant Orchid.
Alors voilà. Qu’en concluons-nous?
D’abord, que Pantone veut en effet rattacher les couleurs au monde, les étudier et comprendre leurs significations. Mais en même temps, que les interprétations peuvent être très personnelles… surtout lorsque l’on pense que Pantone est avant tout une société pour laquelle le marketing est évidemment très important, et qui essaie d’influencer le marché. Derrière le travail du Pantone Color Institute, il y a donc une logique qui fait sens: les tendances sociétales vont nécessairement avoir un impact sur les modes. Mais cela veut-il dire que leur interprétation est juste?
Une philosophie à remettre en question
Me voilà donc perplexe, face à ces cinq années de couleurs, justifiées « comme elles peuvent »… qui tombe sur l’article publié sur Dezeen de Michelle Ogundehin, qui a été rédactrice en chef de Elle Decoration UK. Bien qu’elle soit d’accord avec Pantone sur leurs constats sociétaux, elle considère Living Coral comme stridente, lui rappelant « des toilettes municipales carrelées, des couleurs de papier toilettes bon marché, et le type de robes de demoiselles d’honneur qu’on appelle meringues ». Elle rappelle les surnoms peu flatteurs de « Ultra Violent Violet » et de « Kermit Green ». Mais surtout, critique fortement l’hypocrisie qu’il y a à parler de couleur corail comme celle de l’optimisme alors que 60% des récifs restants sur la planète sont en grand danger. Aussi, elle évoque un point que j’avais déjà pu préssentir en découvrant un peu plus avant le concept de « couleur de l’année »: comment une seule couleur pourrait-être représenter le monde complexe dans lequel nous vivons?
Que ce soit en Belgique, en France ou ailleurs, nous vivons des temps troubles, où les questions environnementales, socio-économiques, et de droits de l’homme sont tout à fait majeures. Ok, le jaune fluo n’est pas glamour, on s’entend. Mais vit-on dans un monde corail? Clairement, une couleur ne peut pas prétendre représenter toute la complexité d’aujourd’hui. J’en conclus donc que l’intention de choisir une couleur qui soit le reflet des évolutions de notre monde, est faussée. Elle peut être une avant-garde esthétique, pourquoi pas, mais ne peut pas prétendre à davantage.
Relativons donc l’importance de la couleur de l’année, replaçons-la dans son contexte de marketing. Et aimons ou n’aimons pas ses reflets dorés et son peps relativement indiscutable. Nous verrons bien si elle s’installe dans le design d’intérieur!